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Crédit photo : armes saisies à des groupes
non-étatiques par la MONUSCO à Goma, dans l'est de la RDC (source : UN Photo/Sylvain Liechti)
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Lauriane Héau et Clément Hut
L’utilisation des armes légères et de petit calibre (ALPC) est omniprésente dans l’ensemble des conflits armés actuels en Afrique, alimentant la violence, entravant la sécurité humaine et le développement. Relativement faciles à se procurer, très meurtrières et aisément dissimulables pour échapper aux contrôles, on compterait quelque
100 millions d’ALPC en Afrique, et la lutte contre leur prolifération est donc devenue un enjeu majeur pour le continent.
Tout comme dans les sous-régions de l’Afrique australe, de l’Est et de l’Ouest, les pays d’Afrique centrale ont décidé de mettre en place un instrument contraignant pour le contrôle des ALPC. Disposer d’un instrument sous-régional est d’autant plus important que le trafic d’armes est transnational, géré par des groupes criminels organisés qui traversent allègrement les frontières. Une approche seulement limitée au niveau étatique ne peut donc suffire à juguler les trafics d’ALPC.
La Convention de Kinshasa, ou «
Convention de l’Afrique centrale pour le contrôle des armes légères et de petit calibre, de leurs munitions et de toutes pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication, réparation et assemblage » – selon l’appellation officielle – a été adoptée le 30 avril 2010 par onze États d’Afrique centrale. Il s’agit des onze membres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), soit l’Angola, le Burundi, le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, la République démocratique du Congo (RDC), le Gabon, la Guinée équatoriale, le
Rwanda, Sao Tomé-et-Principe et le Tchad. L’entrée en vigueur de la Convention, permise par la ratification par l’Angola le 6 février 2017, est prévue pour le 8 mars. Si cette entrée en vigueur marque une nouvelle étape importante dans la mise en œuvre du contrôle des ALPC, qui s’ajoute aux divers autres instruments
régionaux et
internationaux, de nombreux défis se posent toutefois.
Genèse de la Convention de Kinshasa
L’idée d’un instrument sous-régional pour la lutte contre la prolifération des ALPC en Afrique centrale a pris naissance dans le contexte de la mise en œuvre des instruments de contrôle de ces armes. Dès 2003, un programme d’activités prioritaires pour la mise en œuvre du Programme d’action sur les armes légères en Afrique centrale a été adopté à
Brazzaville.
Ce fut ensuite l’adoption et le début de mise en œuvre d’instruments sous-régionaux, en particulier le Protocole de Nairobi couvrant l’Afrique orientale et la Convention de la CEDEAO sur les ALPC en
Afrique de l’Ouest. En 2007, l’initiative de Sao Tomé marque le début des travaux en vue de l’adoption d’une convention similaire en Afrique centrale. Mandaté par le Comité consultatif permanent des Nations unies chargé des questions de sécurité en Afrique centrale (UNSAC), le Centre régional des Nations unies pour la paix et le désarmement en Afrique (UNREC) est chargé de l’élaboration d’une Convention pour le contrôle des ALPC dans cette région particulièrement affectée par la prolifération d’ALPC. Cette convention s’inspirera des instruments légaux existants, ainsi que des recommandations d’experts indépendants et des États. La v
ersion finale de la Convention est finalement présentée en avril 2010, et ouverte à la signature à Brazzaville le 19 novembre de la même année. La plupart des pays la signent ce jour-là, suivis par le Burundi, la Guinée équatoriale et le Rwanda en 2011, après des consultations nationales.
La Convention devait ensuite être ratifiée par au moins six États pour pouvoir entrer en vigueur trente jours
après la sixième ratification. Cependant, fin 2012, on ne comptait que quatre États parties : le Tchad, le Gabon, la RCA, et la République du Congo. Si les autres États s’engagent à accélérer le processus pour permettre des ratifications courant 2013, cela prendra en fait beaucoup plus de temps, et c’est seulement début 2017 que six États ont enfin ratifié le document (le Cameroun le 30 janvier 2015, puis l’Angola le 6 février 2017), ouvrant ainsi la possibilité
à l’entrée en vigueur pour ces États.
Un instrument régional ambitieux
La Convention liste une série d’obligations concernant le contrôle des APLC, de leurs munitions, parties et composantes. À l’inverse de la Convention de la CEDEAO qui interdit, sauf exemption, les transferts d’ALPC, la Convention de Kinshasa autorise mais régule les transferts entre États, qui doivent être justifiés par la nécessité du maintien de l’ordre, de la défense, de la sécurité nationale ou de la participation à des opérations de paix menées sous l’égide d’organisations internationales. Elle interdit par contre les transferts vers des groupes non-étatiques. En ce qui concerne les civils, la possession d’armes légères est interdite et celle d’armes de petit calibre soumise à conditions (obtention d’une licence, etc.). La fabrication et la distribution des ALPC, des munitions et de leurs composantes est elle aussi soumise à une série de règles : par exemple, les armes doivent être marquées et les courtiers enregistrés. Les États doivent aussi mettre au point des règles concernant la sécurisation des stocks d’armes et de munitions, qu’il s’agisse de ceux des fabricants, des distributeurs ou des forces de sécurité. Les points d’entrée sur le territoire national sont limités et contrôlés. Enfin, les États doivent coopérer et échanger des informations, au moyen de bases de données sur les ALPC et de rapports annuels, mais aussi de manière plus spontanée, à la suite de saisies d’armes par exemple, ou lors d’une demande de traçage. Toutes ces mesures demandent une révision, une adaptation et une harmonisation des législations nationales au niveau sous-régional, ainsi que des ressources humaines, financières et techniques importantes, que les États s’engagent à fournir. Les mesures présentes dans la Convention couvrent donc un large spectre de la lutte contre la prolifération des ALPC illicites et du contrôle des armes détenues légalement.
Les défis de la mise en œuvre : harmoniser un espace contrasté
Les États parties présentent des caractéristiques très variées, affectant la capacité de la sous-région à agir de concert en matière de contrôle des ALPC. La situation intérieure, en ce qu’elle influe à la fois la capacité de l’État à contrôler ses frontières et peut peser sur la demande d’armes des acteurs privés, est un facteur à prendre en compte. En matière de contrôle des frontières et du territoire, on observe de fortes disparités au sein de la CEEAC, entre d’une part des États disposant d’un fort contrôle sur leur territoire, à l’instar du Rwanda ou de l’Angola, et d’autre part des territoires où l’autorité de l’État s’exprime peu, à l’instar de la RDC ou de la RCA. Dans ces derniers pays, les groupes armés non-étatiques opèrent de part et d’autre des frontières, à l’instar de la
Lord Resistance Army. De plus, les disparités nationales sont dues à différents facteurs. Dans certaines situations, le manque de contrôle du territoire est principalement dû à un manque de moyens affectés à la sécurité – comme c’est le cas en RCA ou RDC. D’autres pays, par contre, ont été accusés de vouloir déstabiliser leurs voisins en favorisant le financement et l’armement de groupes armés, tel le Rwanda accusé par l’ONU de soutenir la rébellion du M23
en RDC.
De plus, les différences en termes d’adaptation des législations nationales aux exigences de la Convention soulignent les disparités persistantes entre les États parties. Ceci représente un défi pour la mise en œuvre de la Convention. Par exemple, le Tchad, l’un des premiers États à avoir ratifié
la Convention en 2012, a encore un arsenal légal obsolète en matière de contrôle des ALPC. Si cette absence de réforme de la législation n’est pas en soi un manquement à la Convention – celle-ci ne devenant contraignante qu’à compter de son entrée en vigueur –, le chantier législatif s’avère énorme pour nombre de pays.
La saillance de ces obstacles à une dynamique régionale efficiente est renforcée par le faible taux de ratification de la Convention – cinq pays sur onze n’ayant toujours pas mené à bien ce processus. Parmi ceux-ci, certains sont déjà membres d’autres conventions régionales sur le sujet, à l’instar du Burundi, du Rwanda ou de la RDC, dans le cadre du Protocole de Nairobi, regroupant plus de dix États d’Afrique de l’Est (la RDC a également signé le Protocole de la SADC). Pour ces trois États – qui n’ont pas encore procédé à la ratification de la Convention de Kinshasa – la redondance des instruments régionaux semble diminuer l’attrait d’un nouvel instrument. Enfin, les tensions pré et post-électorales que traversent certains pays, à l’image du Burundi et de la RDC, diminuent la probabilité de nouvelles ratifications à court terme.
Conclusion
Amorcée avec l’entrée en vigueur du Protocole de la
SADC sur les ALPC en 2004, une série d’instruments juridiques de contrôle des ALPC a été adoptée dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. L’Afrique centrale est la dernière sous-région à se doter d’un tel instrument, et l'entrée en vigueur de la Convention de Kinshasa marque donc une étape importante dans la lutte contre la prolifération des armes légères. Plus ambitieuse que les précédentes, la Convention est également plus aboutie, ayant su tenir compte des faiblesses des autres instruments. Cependant, les différences en termes de situations intérieures vont peser sur la capacité de la sous-région à combattre de façon conjointe les trafics d’armes. Outre le manque de ressources, l’avenir de la Convention de Kinshasa dépendra de la volonté politique des États à agir pour la mettre en œuvre.
À titre d’exemple, la RDC, signataire de trois instruments sous-régionaux différents mais n’en ayant ratifié qu’un seul d’entre eux - le Protocole de Nairobi – et dont la capitale a pourtant accueilli l’adoption de la Convention, n’a démontré aucune volonté de traduire les dispositions des Conventions dans son arsenal juridique. De facto, le chantier reste énorme avant de pouvoir atteindre l’objectif de réduire au silence les armes à feu d’ici à 2020, visé par l’Union Africaine avec sa stratégie
Silencing the Guns 2020.
Lauriane Héau est chercheuse assistante au GRIP et étudiante au sein du Master Conflits et Développement à Sciences Po Lille.
Clément Hut est chercheur assistant au GRIP et diplômé de relations internationales.
The Group for Research and Information on Peace and Security (GRIP) is an independent research institute founded in Brussels in 1979. With its 20 permanent staff members and a network of dozens of associated researchers from different countries, GRIP has acquired a recognised expertise in armament and disarmament issues (production, legislation, transfer control, non-proliferation), conflict prevention and crisis management (particularly in West and Central Africa), European integration in the area of defence, as well as in strategic challenges in the Asia-Pacific region and on issues related to security and climate change.
Disclaimer: This post is reproduced courtesy of the Group for Research and Information on Peace and Security (GRIP) and was originally published on the GRIP website.